mardi 24 juin 2008

Une part d'informulé

Lecture du jour :

"(...) La visée du travail, c’est qu’à un moment, l’acteur joue. Et être en état de jeu, c’est arriver à faire passer des choses de l’ordre de l’inconscient.
Si l’acteur, dans ce qu’on appelle l’intuition de jeu, n’est pas en lien avec son inconscient, s’il n’y a pas des choses qui lui échappent, il ne se passe rien, il n’y a pas de jeu, pas d’acteur. Donc, quand on fait du théâtre, on est tous réunis, y compris quand on réfléchit beaucoup, pour que s’établisse un lien entre ce qui relève de la réflexion consciente et
collective, et ce qui vient de l’inconscient des uns et des autres.

La création théâtrale a obligatoirement une dimension consciente, du fait qu’on travaille en équipe. Il faut bien, à un moment, trouver un langage commun, explicite, rationnel, que tout le monde comprend, et formuler les choses, expliquer. Une compréhension commune est nécessaire entre des gens très différents : une dramaturge comme moi a l’habitude de manier des concepts, d’autres membres de l’équipe ont une pratique artistique mais pas intellectuelle. Mais d’autre part, tous ceux qui travaillent ensemble sur un projet de théâtre peuvent être considérés comme des gens qui mettent leur inconscient ensemble, dans le non-explicite et le non-formulé. Dans le travail théâtral, il y a un versant de formulation, nécessaire, et une non-formulation tout aussi nécessaire, parce que la formulation, à certains moments, peut casser la production de choses plus implicites, plus inconscientes, plus obscures. Quand un acteur produit quelque chose sur un plateau, parfois il est important de le nommer et de dire ce qu’on a vu, et parfois il vaut mieux ne pas le nommer tout de suite, pour ne pas le figer ni créer sur lui un regard trop déterminé. De même, quand je travaille avec un metteur en scène, je peux me formuler des choses de son paysage fantasmatique, pour moi, parce que cela m’aide à travailler. Mais peut-être que si je les lui formule, cela va sembler très réducteur, et même désagréable, castrateur ou inhibant. Pour que le sens circule, il faut qu’il y ait une part d’informulé. Le travail a à voir avec le rêve, le jeu, l’association libre. On doit pouvoir dire
n’importe quoi ! On travaille dans un cadre, où les idées bizarres qui surviennent vont quand même avoir un rapport avec ce qu’on cherche en commun. C’est cela qui est très important. Pour moi, le modèle de tous les gens qui travaillent sur un spectacle, ce sont les acteurs. Ils sont dans un cadre où ils vont produire des choses un peu étranges, mais si ce sont de bons acteurs, qui ont une capacité de répondre sur le mode du jeu à des choses qui sont là, ce sera toujours dans le cadre.

Le texte lui-même entre dans ce processus. On convoque le texte pour ce qui s’y dit consciemment, explicitement, et pour ses soubassements, pour ce qui le traverse de manière moins explicite. C’est un peu absurde de parler d’inconscient du texte, mais on se met à l’écoute du texte, voire de l’auteur produisant son texte comme symptôme."

Entretien avec Anne-Françoise Benhamou (lire l'intégralité de l'entretien en cliquant sur le lien) in Cahiers philosophiques (Théâtre et philosophie, avril 2008)


Aucun commentaire: